Il y a actuellement 2 membres en ligne
LaTransition arrow Blog arrow Mihai Eminescu
Mihai Eminescu

(1850-1989)

 

 

Mihail Eminescu est né le 15 janvier 1850 à Ipotesti, village de haute Moldavie. Sa famille était d'origine paysanne, mais son père avait réussi à devenir intendant de domaine et même à acquérir un titre de petite noblesse. Le jeune Mihail fit ses études au lycée de Cernauti et, dès l'âge de quatorze ans, il manifesta un curieux désir d'indépendance et d'évasion : il suivit en Transylvanie des acteurs ambulants. On trouve sa trace à Bucarest en 1868. Puis son père l'envoie comme étudiant à Vienne où il se mêle à la jeunesse libérale et écrit ses premiers poèmes. Après un bref séjour à Iasi, il repart pour l'étranger, à Berlin cette fois, grâce à l'appui de la Société littéraire Junimea et de son président Titu Maiorescu.

Ce poète – le plus grand de la Roumanie – avide de culture universelle et fin connaisseur de la poésie populaire nationale a élaboré une extraordinaire synthèse entre, d'une part, les vieux thèmes que lui fournissait son érudition : vanité des choses, fragilité de l'être, de la nature et de l'amour, menace du néant ou révolte contre le destin, et, d'autre part, l'inspiration originale et forte de ce peuple de villageois et de pasteurs issus des lointains Daces, colonisés par les Romains.
Par toute son oeuvre, Mihai Eminescu a réalisé une vaste et profonde synthèse visionnaire du filon ancestral, thraco-dace et latin, de cette culture qui, au long de plus de millénaires, se développa en des formes spécifiques sur le territoire compris entre le Danube, les Carpates et la Mer Noire- la culture roumaine.

En vingt ans seulement- entre 1864 et 1883- Mihai Eminescu a réussi à parachever son œuvre ; ce court laps de temps lui fût suffisant pour marquer profondément la culture roumaine, par l'affirmation ardente de ses idéaux de justice sociale, d'unité, d'indépendance et de souveraineté nationales, par son combat inlassable pour le Vrai et le Beau, dans la vie et l'art. Il a éveillé dans l'âme du peuple roumain la conscience de son être historique, de l'ancienne Dacia, en lui révélant, de la sorte, une ligne maîtresse de son évolution ultérieure, en vue de devenir l'égal des peuples du monde entier, de se libérer des aléas tragiques ayant trop longtemps marqué son histoire, en vue de défricher les voies de son brillant avenir inscrit dans le rythme intense de la culture et civilisation européennes.

Il rentre définitivement au pays, en 1875, sans avoir acquis de titre universitaire dans la discipline qu'il avait choisie, la philosophie. Ses amis conservateurs, dont le parti est au pouvoir, le font nommer bibliothécaire à Iasi puis inspecteur des écoles. Il s'adonne un moment au journalisme, mais la défaite électorale des conservateurs l'amène à quitter Iasi pour Bucarest où il arrive au mois d'octobre 1877. Il entre alors au journal de ses protecteurs, Timpul (Le Temps). Mal payé, mal logé, se nourrissant mal, il mènera une vie de bohème, marquée à partir de 1883 par l'alternance de crises dépressives et de périodes de lucidité. Interné dans un hospice en 1889, il meurt le 15 juin à la suite d'une blessure à la tête, un de ses compagnons d'infortune lui ayant lancé une pierre.

Ses ardents et courageux idéaux patriotiques, le rayonnement d'intense beauté de l'expression artistique de sa pensée et sensibilité, son inégalable contribution a l'évolution de la culture et littérature roumaines, a son ouverture universelle, ont fait de Mihai Eminescu "le génie national", "le poète sans paire", "le créateur de générations", "le poète le plus poète", "le créateur d'uniques beautés"; ces caractérisations sont le fait des plus illustres représentants de la culture roumaine.
Presque ignoré de son vivant où il n'a publié qu'un volume de Poésies (1884), il est pourtant le plus grand poète lyrique roumain. Eminescu chante dans une langue ample et forte l'antagonisme entre les valeurs spirituelles et la société contemporaine, le passé de son pays et les espoirs qu'il met dans l'indépendance de son peuple. Les souffrances de l'amour, une aspiration douloureuse à se fondre avec la nature vibrent dans ses poèmes et font de son œuvre l'expression désespérée de la solitude et de la nuit. Son chef-d'œuvre reste sans doute la ballade lyrique intitulée L'Étoile du soir. Mais il est l'auteur d'une œuvre très abondante publiée après sa mort, parmi laquelle une nouvelle poétique, Pauvre Denis, écrite en 1872 et un roman inachevé, Génie stérile.

Mihail Eminescu est avant tout un poète lyrique d'une extraordinaire puissance verbale. Il y a une langue roumaine antérieure à son œuvre et une langue nouvelle, qu'il a forgée et que tous les poètes roumains, après lui, essaient de manier.
Poète de l'amour, Eminescu chante l'impossible bonheur : la femme devrait le comprendre, l'aider à se comprendre soi-même et surtout lui accorder la féerie lascive sous la pluie des fleurs de tilleul, loin du monde, au cœur de la forêt complice. Après Vigny, Eminescu a traité la femme de Dalila, mais c'est pour la mieux supplier : « De ce nu-mi vii ? » (« Pourquoi ne viens-tu pas ? »). Les arbres, la colline, le bois touffu, « frère du Roumain », sont le décor de la joie d'aimer. Cependant ailleurs, plus haut, plus loin et comme dans un autre univers, la vision d'une errance d'astres formés de minéraux hostiles, dans un cosmos d'apocalypse, ne cesse de hanter l'imagination d'Eminescu. La lune, astre froid, se promène au-dessus des mers et des étendues mortes, en étrange contraste avec l'intimité de la forêt moldave. De sa propre mort l'homme peut se servir comme d'un argument de blasphème à l'égard de la divinité. Mais, nouveau contraste : Eminescu, qui prend les traits d'un Dace pour mieux clamer son athéisme, a composé de très délicates litanies à la Vierge.

À part les cinq épîtres, qui sont relativement longues – elles ont quelques centaines de vers chacune –, l'œuvre d'Eminescu se réduit à un recueil de courts poèmes, des sonnets, des pièces en forme de romances populaires, cent trente morceaux environ. Mais cette œuvre publiée ne représente qu'une très petite partie, le vingtième, peut-être moins encore, des textes manuscrits laissés par le poète. Et ce n'est pas un des aspects les moins dramatiques de cette existence qu'elle cesse au moment de sa plus grande fécondité. Eminescu avait le pressentiment de sa fin. Dans un de ses vers, il note que l'instrument est brisé et que le maître est devenu fou. Il avait également claire conscience de son génie et de son destin comme poète et comme homme. Il a laissé dans son chef-d'œuvre, le poème « Luceafarul » (Hypérion), une sorte de testament spirituel : une jeune enfant, fille de roi, est amoureuse d'un astre brillant. Elle l'appelle chaque soir de la fenêtre du château paternel, au bord de la mer. Ému par cette invocation, l'astre descend des cieux et surgit de l'océan sous les traits d'un prince. Mais la jeune fille lui demande davantage : qu'il renonce à son éternité d'astre pour devenir un être humain. Hypérion s'engage alors dans une longue errance interstellaire pour rejoindre Dieu afin d'obtenir la cessation de son privilège. Mais, de là-haut, le Seigneur lui montre un affreux spectacle : la fille du roi, Catalina, s'est laissé prendre à l'amour d'un jeune page. Elle est avec lui dans son jardin et demande à l'astre-prince d'illuminer son bonheur. Hypérion comprend la vanité du sacrifice auquel il allait consentir. Il ne rejoindra pas les humains. Il restera à jamais nemuritor si rece, « immortel et froid ».
Que ce chef-d'œuvre ait été composé en quatre-vingt-quatorze petites strophes de quatre vers courts, sur le rythme et selon la facture des poèmes populaires, voilà qui donne au plus haut sommet de la lyrique roumaine le caractère d'une extraordinaire réussite.

Le lac


Les nénuphars jaunes emplissent
Le lac des forêts comme argent
Il fait se balancer la barque
Et tressaille en cercles blancs.

Je passe tout au long des rives
zet je m'attends à chaque pas
Qu`elle surgisse des roseaux
Et qu'elle tombe dans mes bras.

Nous sauterons dans notre barque
Par la voix des eaux enivrés,
J'abandonnerai le timon.
Laissant les rames m'échapper;

Nous flotterons saisis du charme
Sous cette lune rayonnante --
Le vent bercera les roseaux
Les eaux chanteront ondoyantes !

Mais elle ne vient pas... Tout seul
Je soupire, je souffre en vain,
Les yeux perdus sur mon lac bleu,
Qui de Iourds nénuphars est plein.

A l'étoile


A l'étoile qu'on aperçoit
Il y a un si long chemin
Que la lumière traversa
Par les millénaires sans fin.

Peut-être est-elle éteinte dans
L'immensité des lointains bleus
Mais c'est à peine maintenant
Qu'elle reluit dans nos yeux.

Les traits de 1'astre mort là-bas
Montent au ciel lentement;
Elle était sans qu'elle fût Ià,
Quand on la voit elle est néant.

Ainsi quand notre amour divin
Périt dans la profonde nuit,
L'éclat de notre feu étaint
Persiste encore, nous poursuit.

Je n'ai qu'un seul désir


Je n'ai qu'un seul désir:
Sous le couchant d'éther
Qu'on me laisse mourir
Près du bord de la mer
Que mon sommeil soit doux
Et le vieux bois voisin,
Que mon ciel soit serein
Dessus les eaux partout.
Je ne veux de drapeaux
Ni de riche cercueil,
Mais seul un lit de feuilles
Fait de jeunes rameaux.

Que personne après moi
Ne pleure à mon chevet:
Seul l'automne m'envoie
Le chant de sa forêt.
Quand tombent cristallins
Les ruisseaux qui bruissent
Que l'or de lune glisse
Aux cimes des sapins
Que la clochette franche
Pénètre le vent froid
Que le tilleul sur moi
Secoue sa sainte branche

Et comme à l'avenir
Ne serai plus errant
Me couvrira le temps
Aux flots des souvenirs.
L'étoile qui surgit
De l'ombre des mélèzes,
Sourira bien aise
Comme éternelle amie.
Gémira l'âpre chant
Que soulève la mer...
Je ne serai que terre
Dans mon trist néant.

 
< Précédent   Suivant >
Visiteurs: 6620491
JoomlaWatch